Histoire de la voyance

« Dieu a donné à l'homme le goût de connaître pour le tourmenter. »

Livre de l'Ecclésiaste

Circée, la magicienne...

Circé la Magicienne

La divination est un art et en même temps un langage universel, intemporel, magique... et surtout subversif... Depuis l'aube de l'humanité, elle fait partie de nous ; c'est, comme l'on dit, l'un des plus vieux « métier » du monde. Elle a laissé des traces tangibles sur tout les continents sous la forme de récits, de légendes, de rumeurs, de secrets, de miracles...

A toutes les époques, l'être humain a toujours voulu influencer le cours de l'histoire, de sa propre vie : c'est dans sa nature. Mais quelle prise a-t-il sur son destin ? Connaître les événements à venir, faute de ne pouvoir les maîtriser, est toujours rassurant... et cela peut devenir un terrible pouvoir ! Et rappelons aussi, par exemple, qu'en France, l'exercice de la voyance était un délit condamnable par la loi jusqu'en 1994 (!)...

Dans certaines cavernes préhistoriques ont étés découverts des dessins et des gravures. Tous ne sont pas des représentations d'animaux et on y trouve souvent des signes abstraits, des symboles qui peuvent attester d'actes de divination et autres pratiques magiques. On parle aussi de chamanisme. Se préserver de la famine, favoriser la partie de chasse à venir, exorciser le mauvais sort... tous ces actes sont des manières d'influencer l'avenir. A cette période de l'histoire ancienne, la divination devenait un puissant outil social et même politique et c'est à son entremetteur - sorcier, chaman, gourou - que l'on lui confiait le choix des « décisions » importantes que devait prendre la communauté.

Hormis l'oniromancie, les arts divinatoires de l'ancienne Égypte nous sont méconnus. Mais il semble bien que leur savoir ésotérique était bien gardé et qu'il a sûrement été détruit depuis. Il n'en va pas de même pour ceux utilisés par les Assyro-Babyloniens. La mission du clergé était entre autres de pratiquer la voyance : chaque sanctuaire était pourvu d'un lieu de vision et d'oracle réservé au seul devin. N'étant jamais mieux servi que par soi-même, Assourbanipal, le roi de l'empire d'Assyrie (vers 670 av. J.-C.), se vantait d'avoir lui-même appris les secrets de la divination ! Les Ziggourats (édifices religieux assyriens et babyloniens), en formes de pyramides à étages, dénotent leur intérêt pour l'astrologie. Des tablettes divinatoires témoignent, par certains détails, de ce genre de pratiques chez la civilisation Sumérienne qui l'avait précédée (-4000 ans av. J.-C). Les Égyptiens eux aussi construisaient des pyramides dont l'orientation sur les points cardinaux prouvent qu'ils possédaient une grande connaissance du ciel et des phénomènes célestes. Les Chinois, eux aussi, pratiquèrent très tôt l'astrologie et leur répertoire de Mancies (divinations) était très étendu. Il allait jusqu'à utiliser les écailles de tortue que l'on mettait sur le feu, et l'on interprétait ensuite les craquelures ainsi obtenues !


Sextus Empiricus

Depuis la nuit des temps, l'humanité a tenté d'interpréter les rêves, les signes, de traduire là en fait la parole divine, faute de ne l'entendre toujours clairement. Le philosophe et médecin grec Sextus Empiricus (IIe siècle) ne voyait-il pas dans la divination « la science, où plutôt la faculté de voir et d'expliquer les signes octroyés par les dieux aux hommes » ?

Le philosphe grec Sextus Empiricus

Sextus Empiricus


L'oniromancie, où « science des rêves » tient une place importante dans le dialogue que les humains ont tentés d'établir avec les dieux. Les auteurs grecs, Héraclite, Démocrite, Aristote en portent témoignage. Et le dieu d'Israël n'a-t-il pas parfois parlé aux siens par le truchement du rêve ?

Cicéron

L'auteur latin Cicéron, dans son « De Divination », parle d'ailleurs de la divination intuitive ou naturelle qui, occasionnellement, se produit chez des êtres privilégiés tels que les prophètes, les prêtres ou les voyants. Tout comme de la divination inductive où raisonnée qui résulte de l'interprétation de signes apparaissant dans les cieux où sur terre, sous l'action d'une divinité quelconque.

Le philosophe et savant Cicéron

Cicéron


Période médiéval et Renaissance

La période médiévale semble avoir été prolifique pour les prophètes en tout genre, notamment auprès de l'église qui leur reconnaissait parfois une certaine inspiration divine. La Renaissance leur ouvrira une plus large audience auprès des souverains. Mais beaucoup d'entre eux n'atteignirent pas la renommée de fameux « prophète » Michel de Nostre-Dame dit Nostradamus, qui était contemporain de Ronsard et de Rabelais, personnage énigmatique doté d'un savoir et d'une érudition exceptionnelle pour l'époque.

 

Les astrologues  observant le Ciel (Miniature du XIVème siècle)

Les astrologues observant le Ciel
Miniature du XIVe siècle


Nostradamus

Le célèbre "prophète" Nostradamus

Michel de Nostre-Dame dit Nostradamus
St-Rémy-de Provence 1503 - Salon 1566

De son vivant, Nostradamus connut d'abord la gloire en tant que médecin après avoir réussit à endiguer l'épidémie de peste qui sévissait dans plusieurs cités du sud de la France. Il reçut les honneurs de la cour du Roi de France à Paris où il rendra publiques ses premières prophéties. La plus célèbre restera d'ailleurs celle qui annonçait la mort de son propre roi, Henry II :

 

« Le lyon jeune, le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans cage d'or les yeux lui crèvera,
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle »

Centurie 1, Quatrain 35

C'était le 30 juin 1559, à l'occasion du mariages des princesses royales. Un tournoi de chevalerie a eu lieu à Paris, rue St-Antoine. Henry II, alors âgé de 41 ans, est en costume d'apparat et porte un heaume doré digne de sa noblesse royale. Un duel a lieu contre le capitaine de sa garde écossaise, le jeune Gabriel de Montgomery. C'est une joute où les cavaliers s'affrontent réellement, lancés au galop avec une longue lance, avec pour but de désarçonner leur adversaire. Les deux hommes s'élancent... et c'est le drame : le bout de la lance de Montgomery heurte le heaume du roi, pénètre par la visière et transperce l'œil d'Henry II ! C'est la consternation dans la foule. Le Roi est encore vivant mais il perd peu à peu la tête. Après plusieurs jours de délire, il meurt. Certains se souviendront de Nostradamus qui, un an plus tôt, presque jour pour jour, avait dédié au Roi la première édition de ses Centuries dont l'une contenait le quatrain en question !

La scène du tournoi où le roi Henry 2 perd son oeil - Estampe de 1570
La scène du tournoi dramatique d'Henry II
Estampe du XVIe siècle

Sa réputation est rapidement faite. Catherine de Médicis elle-même n'hésitera pas à traverser la France pour le rencontrer... Aujourd'hui, on connaît bien sa vie grâce à ses écrits dont la fameuse « Lettre à César », et aussi la « Lettre à Henri, roi de France second », et ceux plus intimes à son fils César : « L'Histoire et Chronique de Provence ». En véritable prophète, il aura aussi annoncé la date de sa propre mort ! Mais, malgré quelques allusions très partielles, la méthode qu'il utilisait pour accéder à ses visions demeureront à jamais un mystère.

Il revient sur le devant de la scène en 1981 grâce à l'immense travail de Jean-Charles de Fontbrune qui perpétuait avec brio (et surtout un goût certain pour la publicité) les recherches approfondies de son propre père.

Quatre siècle après sa mort, Nostradamus soulève encore les plus vives critiques, passionnées pour les uns, et admiratives pour les autres. En 2001, de nombreux livres commentant ses prophéties sont toujours édités. Mais pourquoi parle-t-on encore de lui ? Son œuvre est unique, grandiose, et ses fameuses « Centuries », qui en forment la partie centrale, restent un sujet de fascination. Elles comprennent chacune cent quatrains en vers, à la poésie souvent rude mais réelle, abordant les sujets les plus divers comme le destin de grands hommes, de cités ou de pays. Mais le sens du texte est obscurci par un style étrange voire déroutant et aussi par l'emploi de nombreux mots anciens ou empruntés à toutes les langues et, parfois même, inventés de toutes pièces ! Telles quelles, ces « Centuries » exercent une fascination certaine sur le lecteur qui, sans toujours les comprendre, ressent une impression de merveilleux mêlée d'un trouble. Il entrevoit par moments le sérieux de l'ouvrage et les prophéties exposées s'imposent d'un coup à lui dans l'un de ces quatrains dont la précision brutale ne laisse aucun doute sur les évènements auxquels il se rapporte.

A titre d'exemple, voici quelques quatrains de son œuvre qui se sont réalisé après sa mort.

Centurie IV - 8ème Quatrain (6 ans après sa mort).

Le massacre de la Saint-Barthélemy, dans la nuit du 23 au 24 août 1572 :

« La grande cité d'assaut prompt et repentin,
Surprins de nuict, garde interrompus :
Les excubies et veilles sainct Quintin,
Trucidez gardes et les pourtails rompus. »

En clair : la capitale, Paris, sera surprise de nuit par un assaut rapide et imprévu, à 2 heure du matin... Les gardiens de Saint-Quentin seront massacrés et les portes de la ville enfoncées. On sait que c'est le début du massacre des Protestants et de la guerre civile et religieuse qui secouera la France pendant des années. Rétrospectivement, on note avec étonnement que l'Amiral de Coligny et ses proches étaient les principaux défenseurs du bastion de St-Quentin et qu'ils y ont été effectivement assassinés...

Centurie IX - 20ème Quatrain (225 ans après sa mort).

La fuite de la famille royale et leur interception à Varennes, le 20 juin 1791 :

« De nuict viendra par la forêt de Reines
Deux pars voltorte Herne la pierre blanche
Le moine noir en gris dedans Varennes
Esleu cap cause tempeste, feu, sang, tranche. »

En clair : c'est probablement le quatrain le plus exact de Nostradamus ! Il porte le n° 20, date de la fuite de la famille royale vers Varennes dans la nuit du 20 juin 1791. La voiture royale passa près de la forêt avant de faire un détour en raison de la route défoncée. « Herne, la pierre blanche » : c'est ainsi que les proches surnommaient Marie-Antoinette. Le Roi en fuite était déguisé en moine, « Cause tempeste » car la capture puis la mort du roi Louis XVI déclencha à travers l'Europe et le pays une contre-révolution. « Tranche »... comment ne pas voir là, l'ombre de la guillotine !

 

Centurie IX - 33ème Quatrain (378 ans après sa mort).

Le général De Gaulle à la tête de la France :

« Hercules Roy de Rome et d'Annemarc,
De Gaule trois Guion sernommé,
Trembler l'Itale et l'onde de sainct Marc,
Premier sur tous monarque renommé. »

En clair : De Gaulle est surnommé par trois fois guide (« guion » = le guide, le chef militaire). Il fut notre guide une première fois en prenant la tête des Français Libres en 1940 (depuis le fameux appel du 18 juin). Puis, en décembre 1958, il fut élu légalement président de la république française. Mis en ballottage par François Mitterrand en 1965, il fut réélu. Nostradamus faisait allusion à ce grand chef qui conduirait la France après avoir été dissident à la tête de quelques « têtes chaudes ».

J'en cite un dernier, parmi tous les autres, qui me touche en particulier, car il mentionne un épisode très connu des Rennais : le célèbre et funeste incendie qui détruisit la moitié de la ville en 1720...

« En 1720, la grosse Françoise tombera et Senner brûlera »

1720, c'est la bonne date... La Françoise, c'est le nom de la grosse horloge qui domine la ville et rythme sa vie quotidienne... et surtout, « Senner » est bien l'anagramme de « Rennes »... C'est plus que troublant ! Attention cependant, ce quatrain, comme certains autres que l'on rencontre sur internet, est malheureusement apocryphe !

Alors, que pensez de tout cela ? Nietszche lui-même nous éclaire à ce sujet :

« Quand ton regard pénètre longtemps au fond d'un abîme,
lui aussi pénètre en toi
... »

En tout cas, Nostradamus restera encore longtemps dans les mémoires et un sujet d'études pour les futures générations.



L'art de prédire l'avenir existe depuis la nuit des temps et continue aujourd'hui encore à nous fasciner. D'ailleurs qui d'entre nous échapperait au désir de connaître sa destinée, son chemin ! De nos jours, le « don » de prédire le futur existe mais dans l'ensemble, la prédiction reste assez limitée dans le temps et souvent sujette à l'influence des prédispositions des consultants.

« Aujourd'hui encore, en Occident, des hommes et des femmes
savent se mettre dans un état de conscience spécial
afin de se porter vers des « cibles » éloignées dans le temps et l'espace
pour en ramener des informations vérifiables.
On débouche alors sur une compréhension nouvelle de la vie psychique. »

Bertrand Méheust


Des livres pour en savoir plus :

 

Une histoire de la voyance - De Nostradamus à Yaguel Didier de Monique De Huertas

Une histoire de la voyance
De Nostradamus à Yaguel Didier

Monique De Huertas
(Éditions Claire Vigne - 1995)

ISBN 284193022X, 9782841930227 - 231 pages

 

Yaguel Didier est une auteure à succès. La pythie des VIP parcourt le temps, réécrit l'histoire et ne prédit que le meilleur. « Je fais le plus vieux métier du monde », explique très simplement Yaguel Didier.

Prophétesses, Cassandres, diseuses de bonne aventure, tireuses de cartes, Madame Irma... elle est leur héritière, la pythie d'aujourd'hui. Déclarée « voyante" à l'Urssaf, consultante médiatique en paranormal et auteure de nombreux ouvrages dont celui-ci qui mérite votre attention.


Les miracles de l'esprit

Les miracles de l'esprit

Qu'est-ce que les voyants peuvent nous apprendre ?

Bertrand Méheust
(La Découverte - Collection : Les Empêcheurs de penser en rond - 2011)

ISBN 9782359250428 - 288 pages

Plus d'infos sur cet ouvrage...

 

La note de l'éditeur : « L'approche contemporaine de la voyance est aujourd'hui traversée par une contradiction ruineuse. Lorsque les historiens ou les anthropologues étudient les pratiques divinatoires du monde antique, leur démarche est considérée comme légitime. En revanche, lorsque les parapsychologues étudient les phénomènes psychiques produits par les médiums et les clairvoyants, ici même, aujourd'hui en Occident, leur démarche est suspectée et leur objet est perçu comme illusoire... Les faits sont désormais suffisamment attestés à ses yeux pour que l'on entreprenne d'examiner certaines de leurs implications épistémologiques. En prenant pour fil conducteur l'immense question de la mémoire, il est ainsi amené à revisiter la conception antique de la réminiscence. Une manière d'entrouvrir la boîte de Pandore... »